mercredi 30 juin 2021

A propos de "Celle qui doit venir"

Jean Robin n’apprécie guère l’esprit de système, ce qui n’est pas étonnant étant donné tout ce que, malgré tout, il doit à René Guénon. Ce dernier, en stigmatisant les « systèmes », ne visait certainement pas simplement les philosophes et la philosophie, comme pourraient le penser des lecteurs superficiels, mais toute limitation de la possibilité universelle par les mentalités bornées, toute particularisation ou individualisation abusive, ou même, tout simplement, l’esprit de négation, donc métaphysiquement, oserions nous presque dire, Satan, vocable dont Jean Robin semble fort apprécier la sonorité ; et il est malheureusement vrai que les exotérismes religieux d’aujourd’hui sont loin d’être indemnes de cet esprit, c’est le moins qu’on puisse dire, puisque cette négation peut y être poussée jusqu’à atteindre une véritable subversion ou « inversion » (cf. La religion à l’envers).

Maintenant, en ce qui concerne les conceptions de Jean Robin lui-même, à la lecture de ses deux derniers livres tout au moins, il semble qu’on puisse vraiment se demander si elles s’étendent au-delà du point de vue cosmologique (il y a d’ailleurs dans son roman une sorte de fantaisie sur la supériorité du quaternaire sur le ternaire qui pourrait faire penser qu’il se joue un peu du monde tout en sachant au fond à quoi s’en tenir), ou même au-delà du « monde intermédiaire » ; ceci pourrait expliquer ce qui a toutes les apparences d’une sorte de « néo-spiritualisme » tel qu’analysé dans la dernière partie du Règne de la quantité et les signes des temps, c’est à dire la partie consacrée à la « dissolution ».

D’autre part, il va de soi qu’un esprit « systématique » ne saurait opérer une véritable synthèse en conciliant entre eux l’indéfinie multiplicité des points de vue, les mettant chacun à la place qui leur revient dans l’ordre total, mais qu’il s’arrêtera à des oppositions plus ou moins artificielles et jugées irréductibles. Ainsi, par exemple, de l’opposition entre ésotérisme et exotérisme, bien chère apparemment à Jean Robin quoique, tout le monde l’aura compris, il s’agit en l’occurrence d’un exotérisme et d’un (pseudo-) ésotérisme forcément assez spécial et vraiment caricatural (et certes l’époque actuelle est caricaturale) ; toutes ces oppositions, ici encore, entre des « entités » qu’il appelle Isis, Jéhovah, Lucifer, Lilith, Eve… qu’est-ce sinon une sorte de caricature de la véritable doctrine traditionnelle des noms divins ? Mais peut-être, s’agissant d’un roman, Jean Robin a-t-il voulu faire œuvre de « vulgarisateur » ? On se demande, en tout cas, s’il distingue bien multiplicité, unité et non-dualité ; possibilités subtiles, informelles et non-manifestées ; acte et puissance…

Ceci dit, au milieu de toutes ces histoires de « supérieurs inconnus » vraiment « humains, trop humains » (selon son expression nous semble-t-il à propos de ses « exotéristes »), on en vient à se demander si l’auteur aurait jamais entendu parler, non pas des textes sacrés, qu’il peut bien interpréter à son aise, mais simplement des grandes autorités traditionnelles en quelque sorte « classiques » qui, il est vrai, nous appellent vers un combat intérieur un peu plus ardu que les jeux « numérologiques »… En ce moment, par exemple, de la traduction intégrale (ou si l’on veut, de l’essai de traduction intégrale) des Futuhât d’Ibn ‘Arabî en cours de publication, sont en train de paraître les chapitres consacrés aux piliers de la sharia ; à côté de cela, toutes ces descriptions de « monde éthérique », de « obe » (« out of body experience »), de réveil de Kundalini, de longévité, de visions, d’entités plus ou moins « divines », d’extraterrestres, de grimoires, pour ne rien dire des « machinations d’initiés » à la manière de l’affaire du collier de Marie-Antoinette, et jusqu’à ces histoires de « morale bourgeoise » et de prostitués, comme tout cela donc semble malheureusement petit, grossier, ridicule… Et si ce qui intéresse Jean Robin c’est le dépassement des cadres de la raison, le « fantastique » en quelque sorte, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et bien comme Ibn ‘Arabî est incontestablement plus « fantastique » qu’un Lovecraft ! Certes, il est disproportionné de comparer les œuvres d’Ibn ‘Arabî à celles de Jean Robin, et sans doute hors de propos ; peut-être d’ailleurs ce roman pourrait en faire réfléchir certains mais, quant à nous, nous regrettons bien de dire qu’il nous a surtout laissé une assez pénible impression.

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